Quelles coopérations avec l’Afrique pour ce XXIe siècle ?

Depuis des siècles, l’Europe pille les richesses humaines et minières du continent africain. Mettre un terme à cette politique et instituer, enfin, un autre système de relations entre l’Afrique et l’Europe – en particulier avec la France – devient plus qu’urgent. À l’heure où les révolutions essaiment les graines de la liberté dans de nombreux pays, la France se doit, en raison de son histoire, d’être force de propositions et d’apporter l’aide nécessaire à ces peuples qui aspirent au droit à disposer d’eux-mêmes, au respect et à des relations d’égal à égal avec les autres peuples. La recherche et l’enseignement supérieur pourraient servir d’exemple pour instituer ces nouvelles relations fondées sur la coopération, sans pression de part et d’autre.

Entraves aux coopérations scientifiques

Dans ce domaine, les coopérations existent déjà depuis des décennies. Les réussites sont nombreuses, mais les entraves le sont tout autant.

Trop d’éléments s’opposent, encore aujourd’hui, à la libre circulation des hommes et des idées. Venir en France pour poursuivre ses travaux relève actuellement du parcours du combattant pour un chercheur africain. Une nouvelle politique des visas devra garantir la libre circulation des chercheurs et des étudiants. Le flux dans les deux sens doit être facilité pour une libre circulation des chercheurs et des étudiants.

De même, le drainage des forces vives africaines – particulièrement de jeunes chercheurs – doit cesser. Même s’il est important pour un jeune chercheur africain et pour son pays de se perfectionner à l’étranger, les conditions financières, sociales et de recherche d’un retour réussi doivent être mises en place. Une réflexion bien en amont doit se faire entre les pays d’accueil et d’origine pour le préparer, afin qu’il soit profitable au chercheur et à son laboratoire d’accueil.

Exportation d’un modèle « clef en main »

La France multiplie les pressions pour imposer aux pays africains francophones l’organisation de leur enseignement supérieur par le biais de modèles « clef en main » – hier des cursus à la française, aujourd’hui le modèle européen du LMD ! La Direction de l’enseignement supérieur (DGESIP) du ministère mène, depuis longtemps, une action méthodique pour exporter ces modèles, sans égard pour les besoins et les attentes des populations. Elle s’appuie notamment sur l’Agence universitaire de la francophonie.

Dans de nombreux pays, la greffe ne prend pas. Alors que l’Université doit être un acteur central de la société civile, la grande majorité des universités africaines peine à répondre aux besoins environnementaux et sociétaux particuliers à chaque pays. Le système universitaire sénégalais, par exemple, n’offre pas à ses étudiants les formations propices à son développement économique. Les sociétés occidentales implantées dans ce pays en profitent pour asservir d’autant plus leurs salariés et l’économie nationale. Dans le domaine technique, les écoles supérieures accusent un grand retard qui pèse lourdement sur son développement.

Autre exemple, le Maroc qui vit aujourd’hui une situation économique en développement, que ce soit avec l’Europe ou les pays du Sud. L’aéronautique, l’automobile, la microélectronique et le textile ont besoin de diplômés – de la R & D à la production. Cruel constat : mal préparés à l’emploi au Maroc, c’est à l’étranger que l’on trouve les diplômés les mieux formés !

Au-delà de cette mauvaise gestion du flux des étudiants et du manque de filières professionnelles, améliorer la reconnaissance des diplômes entre l’Afrique et l’Europe s’avère crucial. Un travail en coopération sur les contenus des formations et la pédagogie permettra de faire reconnaître les diplômés marocains. Ils pourront ainsi s’insérer au mieux dans le tissu socioéconomique de leur pays et participer à son développement.

Développer l’enseignement supérieur

Il faut rompre avec le pilotage de l’université des pays africains qui vise leur adaptation aux besoins des marchés imposés par les compagnies privées occidentales ! La formation des élites de demain doit être de qualité et émancipatrice, pour permettre un développement économique, social et écologique indépendant des puissances néocoloniales. La construction de formations adaptées au contexte national et un partenariat fondé sur un échange d’enseignants et de connaissances entre l’Afrique et l’Europe doivent être le socle d’une nouvelle coopération.

L’urgence est d’être à l’écoute des besoins sociaux de ces pays et de les accompagner dans le développement de leur système éducatif supérieur : des filières technologiques courtes, jusqu’au doctorat. Il faut former des étudiants et des chercheurs qui ne soient pas la reproduction des élites d’hier, calquées sur le modèle occidental. Ils doivent devenir, demain, les forces vives de l’Afrique par leur insertion dans une nouvelle société. Il s’agit de créer les conditions nécessaires à une profonde réorientation de l’action de la France et de l’Europe dans ce domaine.

La politique du FMI impose aux gouvernements des coupes dans les budgets de l’enseignement supérieur et de la recherche, sous prétexte que l’Afrique n’aurait pas besoin de former ses propres cadres supérieurs. Ce diktat doit être combattu. Dans de nombreux pays, le système supérieur stagne, alors que le système éducatif prébac s’est fortement développé en quelques années.

Cela entraîne la création de nombreuses officines privées qui permettent aux étudiants les plus favorisés d’obtenir un diplôme à valeur marchande immédiate – ces officines offrent accessoirement un complément de salaire à des enseignants fonctionnaires trop peu, voire pas du tout payés. Cela provoque surtout de fortes tensions lors des rentrées universitaires. Plus de 3 000 étudiants sénégalais se sont retrouvés cette année sans inscription à l’université Cheik Anta Diop de Dakar. Dans de très nombreux établissements, les conditions matérielles d’accueil des néo-bacheliers ne sont pas adaptées aux besoins.

En prise sur la richesse de ses cultures, langues et savoirs, un système d’enseignement supérieur-recherche propre à l’Afrique doit émerger. Il y va du devenir de cet immense continent et de sa place dans le monde. Portée par un autre regard sur les universités africaines, une véritable coopération serait éclairante, de part et d’autre.

Chantelot Pierre

Be Sociable, Share!

Commentaires

Laisser une Réponse